Publié le 22 avril 2023 sur La Sélection du Jour *
Aujourd’hui, la quasi-totalité de la vie repose sur l’oxygène. Pourtant, cela n’a pas toujours été vrai : lorsque la vie est apparue, il y a environ 3,8 milliards d’années, ce gaz était très rare sur Terre et hautement toxique pour la vie ! Ainsi, les premiers êtres vivants, des bactéries, ne consommaient pas d’oxygène : ils vivaient d’autres réactions chimiques, dans un environnement radicalement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. La chimie à la surface de la planète était réductrice alors qu’aujourd’hui elle est, au contraire, oxydante.
Comment les choses ont-elles pu s’inverser pour que l’oxygène devienne omniprésent et essentiel au monde du vivant ? À partir d’il y a environ 2,4 milliards d’années, un changement fondamental s’est déclenché, qui a finalement bouleversé non seulement la vie, mais aussi toute la chimie à la surface du globe. Sa cause : un accroissement exponentiel de la teneur en oxygène. Curieusement, cette catastrophe de l’oxygène est venue des bactéries elles-mêmes ! En effet, à cette époque, la synthèse chlorophyllienne s’était déjà considérablement développée. Elle avait fait croître les êtres vivants grâce à la lumière solaire. La vie était devenue de plus en plus performante pour exploiter cette source d’énergie. Seul problème : ce processus dégageait de l’oxygène en grande quantité, un poison pour les créatures de l’époque qui pourtant le produisaient. Pendant longtemps, cet oxygène avait été absorbé par le fer reposant au fond des océans, qui s’oxydait progressivement, mais une fois le stock de fer largement rouillé, l’oxygène a commencé à s’accumuler dangereusement dans l’eau et l’atmosphère. Les bactéries allaient toutes mourir sous l’effet de leurs propres émissions ! Effectivement, cela a provoqué la plus grande extinction de tous les temps.
Heureusement, cette transition s’est déroulée suffisamment lentement pour que l’évolution darwinienne trouve des solutions. Certaines souches de bactéries ont appris à domestiquer le « poison oxygène » et même à l’exploiter. Non seulement elles ont survécu, mais elles ont fait bien mieux en développant un métabolisme radicalement nouveau qui s’est avéré beaucoup plus performant que le précédent. La catastrophe a été tournée en opportunité.
Aujourd’hui, nous observons quelques espèces fossiles rappelant cette époque. Tandis que la plupart des bactéries « modernes » consomment de l’oxygène, il subsiste encore des souches craignant l’oxygène comme leurs lointains ancêtres : les anaérobies. Un exemple connu est le bacille du tétanos, souvent présent dans la terre, à l’abri de l’oxygène. Voilà pourquoi, si l’on se blesse en jardinant, il est conseillé d’exposer les plaies à l’air et de les désinfecter à l’eau oxygénée.
Le nouveau métabolisme à base d’oxygène, très performant, a finalement été un formidable tremplin dans l’évolution. Il a permis deux innovations majeures, extrêmement improbables, l’une comme l’autre :
– La première a été l’émergence de la cellule moderne, dite eucaryote, composant tous les végétaux et animaux. Certains biologistes vont jusqu’à dire que son apparition était encore plus improbable que celle de la vie. Elle est bien plus grosse que la bactérie et bien plus sophistiquée. Elle inclut différents organes, en particulier les mitochondries, ces petites unités qui traitent l’oxygène et produisent l’énergie nécessaire à l’organisme. Aujourd’hui, on attribue leur origine à des bactéries jadis absorbées par une cellule primitive et ayant survécu en symbiose avec elle. Grâce à cette alliance, l’eucaryote s’est affranchi de la Grande Oxydation.
– La seconde innovation a été l’avènement des êtres multicellulaires, il y a environ 800 millions d’années. Les cellules ont appris à vivre en colonies et à s’assembler en un être capable de se reproduire. Une telle révolution n’aurait jamais pu se produire avant la crise de l’oxygène, à une époque où les métabolismes réducteurs étaient trop primitifs. En quelque sorte, on peut dire que l’Homme doit en partie son existence à cette extinction majeure survenue il y a un peu plus de deux milliards d’années.
Puisque nous en venons à l’Homme, il peut être intéressant d’établir un parallèle entre nous-mêmes et nos ancêtres, les bactéries anaérobies. Elles ont failli s’étouffer sous leur propre production d’oxygène. Cela ne rappelle-t-il pas les alarmes actuelles sur le réchauffement de la planète ? Certains prédisent que l’humanité finira par suffoquer sous ses propres émissions de gaz carbonique. D’autres le contestent. Difficile de conclure, mais il n’est pas exclu que se présentent des points de basculement comparables à cette « catastrophe de l’oxygène », pouvant aussi induire des modifications irréversibles de notre Terre.
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