Vers une nouvelle physique

L’étude des phénomènes émergents va induire un nouveau paradigme dans les sciences. Quelle que soit la puissance de nos théories physiques dites « fondamentales », nous devons reconnaître qu’elles sont peu efficientes face à la plupart des phénomènes un peu complexes et qu’il faut se résoudre à trouver d’autres lois appropriées à chaque cas. La physique deviendra plurielle, que cela nous plaise ou non. Les plus belles théories inventées au XXe siècle n’en perdront pas pour autant leurs lettres de noblesse, mais on ne pourra plus les qualifier de « fondamentales ». On précisera mieux leurs domaines de validité : la mécanique quantique n’est valable qu’au niveau de quelques particules ou au mieux, dans le cas de quelques phénomènes collectifs comme la supraconductivité. La relativité générale s’applique très bien aux grandes échelles, mais non aux petites ainsi qu’aux grandes énergies.

Nous vivrons probablement un retour vers l’empirisme : décrire autant que possible les phénomènes complexes sans pour autant chercher à les réduire à des équations. Après tout, la biologie fonctionne comme cela depuis toujours et emporte quotidiennement de magnifiques succès. Avec humilité, nous chercherons à décrire la nature en revenant un peu à l’idée de la philosophie naturelle d’avant Galilée et Newton. Toutefois, les approches quantitatives n’en seront pas pour autant mises au placard. Aujourd’hui, les systèmes complexes sont appréhendés par la simulation numérique. La puissance de nos ordinateurs permet de simuler comment évolue une galaxie de 100 milliards d’étoiles ou comment se déplacent les masses d’air en météorologie. À l’instar de ce qu’a fait Stuart Kauffman, nous découvrirons peut-être une physique qui ne manie plus seulement l’espace, le temps et l’énergie, mais aussi l’information pure : une physique dématérialisée. Les simulations purement mathématiques pourraient expliquer beaucoup de phénomènes, sachant que la nature fonctionne essentiellement comme un Lego, c’est-à-dire une combinatoire.

nouvelle physique

Les différentes lois physiques qu’il nous faudra trouver dans chaque strate de l’Univers millefeuille, feront certainement appel aux règles de l’auto-organisation envisagées sur ce site. Certaines de ces règles trouveront un substrat théorique plus poussé, non encore élaboré à ce jour. Elles jetteront des ponts solides entre les différentes échelles de l’Univers.

Les phénomènes complexes mettent toujours en jeu au moins deux échelles très différentes. Par exemple, l’être vivant se forme à une échelle macroscopique, à partir de particules ou de molécules qui elles, se situent dans le domaine microscopique ou quantique. Plus généralement, on voit bien que l’Univers forme des structures à toutes les échelles, comme un objet fractal. Il est probable que la notion d’échelle devienne aussi primordiale que celle d’espace-temps. Ainsi, de nouvelles théories mettront peut-être en évidence des invariances dans les échelles. Une tentative dans ce sens a été menée par le physicien Laurent Nottale (la relativité d’échelle) et il est probable que d’autres initiatives suivront.

Enfin, les plus grandes évolutions des sciences viendront certainement de l’intelligence artificielle. D’abord, la physique actuelle utilise des dispositifs de mesure hypersophistiqués qui accumulent les données en nombre tellement considérable que l’on ne peut plus les traiter dans un seul ordinateur et encore moins les appréhender avec notre cerveau. Un premier exemple a été le LHC qui enregistre des dizaines de milliards de collisions de particules par seconde, dont chacune libère des gerbes de dizaines de milliers d’autres particules. Tout ceci est enregistré et pour en extraire des connaissances, il a fallu répartir le travail d’analyse sur des milliers d’ordinateurs. Un exemple encore plus impressionnant est le futur télescope Large Synoptic Survey Telescope (LSST) qui, à partir de 2022, suivra 20 millions d’objets dans le ciel et dans le temps. Il recueillera 4 fois plus de données que le LHC, dans une base de données à 500 dimensions. La difficulté sera de trouver des aiguilles intéressantes dans cette botte de foin, et l’IA sera un outil indispensable pour y parvenir.
A plus long terme, l’IA ira plus loin : on sait qu’elle est capable de trouver de nouvelles lois physiques sous-tendant un jeu de données. À ce stade, il faudra probablement redéfinir le rôle exact du physicien humain.