L’échappement dans le possible adjacent
Cette notion a été mise en avant par le spécialiste de la complexité du vivant, Stuart Kauffman. Elle exprime le fait que le hasard ouvre sans cesse des portes vers de nouveaux domaines du possible, dans lesquels la nature s’engouffre comme l’eau ruisselle en tombant systématiquement dans les creux.
Pour rester sur l’analogie de l’eau, un exemple du possible adjacent est la façon dont la Méditerranée s’est formée. Il y a 6 millions d’années, le bassin méditerranéen était asséché et se trouvait 2 000 mètres en-dessous du niveau de l’Océan Atlantique. Le détroit de Gibraltar était fermé par une barrière rocheuse que des infiltrations avaient commencé à miner. Pour l’océan, ce bassin était une zone d’expansion possible. Elle était adjacente, dans la mesure où il suffisait de peu pour qu’elle devienne accessible. Les infiltrations ont fini par ouvrir le détroit de Gibraltar et la Mer Méditerranée s’est remplie comme une baignoire en 2 ans de temps. Ainsi, le hasard se manifeste en permanence en ouvrant de nouveaux possibles et la nature – qui a horreur du vide – s’y engouffre toujours. En général, elle n’a pas le temps d’explorer complètement le nouveau domaine qu’elle pénètre, car entre temps, de nouveaux possibles adjacents se présentent, dans lesquels elle se précipite.
Les exemples dans le domaine du vivant sont très nombreux. Par exemple, la chlorophylle est une molécule capable de transformer l’énergie lumineuse en énergie chimique. Le jour où elle a été « trouvée » par des bactéries primitives, une expansion considérable du vivant a pu se faire. En effet, les bactéries qui précédemment se limitaient à consommer des minéraux, ont pu tirer leur énergie du Soleil. Cette possibilité était adjacente car elle ne tenait qu’à l’invention d’une molécule : il suffisait que cette porte s’ouvre, pour que naisse le monde végétal.
La transition vers les êtres multicellulaires est un possible adjacent qui a mis 3 milliards d’années à être exploité. La porte s’est ouverte lorsque des cellules sont parvenues à constituer un être complet de plusieurs cellules à partir d’une seule d’entre elles, capable de se différencier en différents types.
Les virus nous donnent un autre exemple. L’un d’entre eux se développe au sein d’une espèce animale : le singe pour le VIH, la chauve-souris pour le SARS-Covid-19, etc. Les autres espèces représentent des possibles qui deviennent adjacents lorsqu’une promiscuité se produit, comme l’Africain soignant un singe blessé ou le paysan asiatique élevant des poules. Pour que la porte s’ouvre vers un nouveau domaine d’expansion du virus, il suffit alors d’une mutation permettant de franchir la barrière d’espèces.
D’une manière générale, on peut dire que parmi tous les possibles que permettent les lois physiques, le hasard ouvre des portes à certains moments, donnant accès à de nouveaux domaines. C’est un mode d’expression fondamental du hasard. De plus, lorsque la nature voit s’ouvrir un domaine adjacent, en général, elle s’y jette. Il semble que ce soit une loi générale : la nature est d’abord et avant tout, organisée pour maximiser la diversité.