Émergence et causalité descendante
Qu’est-ce qu’un phénomène émergent ?
Il se produit entre deux échelles différentes, par exemple celle des particules et l’échelle qui nous est familière. En voici une illustration. Un orage se reconnaît facilement. Il suit des comportements bien connus : nuage noir en forme d’enclume, vents, électricité, précipitations… Or il se compose exclusivement de particules d’air et de vapeur d’eau. Comment toutes ces particules s’organisent-elles pour former ce phénomène bien connu ?
Le principe est le suivant. Obéissant aux lois de la physique, les particules commencent à jouer un jeu complexe impliquant à grande échelle, des échanges de chaleur, d’électricité et d’énergie cinétique. Dès que des formes macroscopiques apparaissent, elles imposent leurs propres lois à ces mêmes particules. Ainsi se déclenche un double jeu : les particules font naître un « tout » et en retour, ce dernier leur dicte un certain comportement. On parle de causalités montantes (celles qui initient le phénomène et l’alimentent) et descendantes (celles qui imposent une configuration globale).
La nature est faite de phénomènes émergents
En général, le phénomène ne peut s’expliquer exclusivement par les lois des particules. Vous pouvez triturer l’équation de Schrödinger dans tous les sens, elle ne vous permettra jamais de prévoir un orage ni même de le décrire. Le « tout » (l’orage) finit par établir ses propres lois : les météorologues les connaissent. Nous ne voyons autour de nous que des phénomènes émergents. Sur Terre, les atomes forment les roches, les océans et les nuages. À plus grande échelle, l’étoile nait de la rencontre de l’infiniment grand (l’Univers créé par le Big Bang et animé par la gravitation) et de l’infiniment petit (les atomes animés par les forces nucléaires).
La vie est l’exemple extrême de l’émergence et de l’auto-organisation. Nous aimerions bien savoir si elle est apparue à partir du monde minéral et comment. L’être multicellulaire illustre magnifiquement le concept de causalité descendante. Il n’est rien d’autre qu’un ensemble de molécules, mais parmi elles, il en est une qui détermine tout : l’ADN. Une fois constitué, l’organisme entier obéit à cette seule et unique molécule qui décide où les autres doivent se placer et quelles fonctions elles doivent assurer. Enfin, la société est entièrement constituée de phénomènes émergents : la vie d’une famille, la démocratie, Internet ou les réseaux sociaux.
Si la physique théorique s’est peu intéressée aux phénomènes émergents, c’est qu’elle n’est pas du tout outillée pour les expliquer. Apparues dans les années 90, les sciences de la complexité que l’on peut qualifier elles-mêmes d’« émergentes », visent à améliorer notre compréhension de ces phénomènes. Elles reposent plus sur la simulation numérique ou bien l’intelligence artificielle, que sur les équations.