La maxime du jour
Georges LEMAÎTRE, l’inventeur du Big Bang, disait à propos du monde :
Il ne s’agit pas du déroulement, du décodage d’un enregistrement ; il s’agit d’une chanson dont chaque note est nouvelle et imprévisible. Le monde se fait, et il se fait au hasard.
Il est singulier qu’un ecclésiastique énonce aussi clairement le rôle primordial du hasard dans le déroulement des choses. En effet, la place du hasard n’a jamais été reconnue à sa vraie dimension. Avant Galilée et Newton, on attribuait la cause des phénomènes physiques à Dieu. Après, on les attribuait à des lois de la nature, qui, elles-mêmes relevaient de Dieu.
Aujourd’hui, l’idée de la Théorie du Tout reflète toujours ce mythe newtonien : les phénomènes obéiraient à une loi universelle qui reste à découvrir. Selon l’astrophysicien Marcelo Gleiser, la croyance en une telle théorie est une forme de religion monothéiste.
Pourtant, tout indique que le hasard joue le premier rôle dans la pièce de théâtre que nous vivons. Les lois de la physique ont pour seul effet de contraindre le hasard et d’empêcher le monde d’être chaotique. Ce n’est que dans des expériences de laboratoire fortement contraintes que les lois de la nature déterminent vraiment les choses, et encore… Le principe d’incertitude quantique, la théorie du chaos et la sensibilité aux conditions initiales, l’incomplétude au sens de Gödel en mathématiques, tout nous oblige à penser que « le monde se fait par le hasard », en précisant : « contraint ».
Le physicien Lee SMOLIN dit :
Toute théorie suffisamment intéressante pour espérer expliquer notre univers, doit traiter du rapport entre son unité et sa variété.
Peu de théoriciens se posent cette question tant nous sommes habitués à un Univers fait de régularité et de diversité. Pourtant, il s’agit bien d’une caractéristique essentielle et inexpliquée. Les cosmologistes s’en rendent compte lorsqu’ils simulent des univers-jouets dotés de caractéristiques différentes (masse des particules, portée des forces, etc.). Dans ces exercices, il trouvent en très grande majorité des univers stériles : soit parce qu’ils sont trop ordonnés, comme le sont des cristaux, soit parce qu’ils sont chaotiques et ne parviennent pas à élaborer des structures stables.
Pourquoi ?
Il faut se rendre à l’évidence : l’Univers est extrêmement finement ajusté entre l’ordre et le chaos. Comment ? Les partisans du principe anthropique répondent : « parce que s’il n’était pas ainsi fait, nous n’existerions pas et nous ne pourrions pas en parler. »
C’est certainement vrai mais cela ne répond pas à la question. On peut rechercher des raisons en physique quantique : le phénomène de la décohérence explique que les particules « floues » forment des objets macroscopiques stables, bien identifiables et réguliers.Un autre axe de recherche concerne la façon dont les particules s’assemblent en structures pérennes et variées. Il apparaît que les valeurs caractéristiques de la matière et des forces sont particulièrement ajustées pour que se développe ainsi une combinatoire sophistiquée et pour qu’émergent la complexité et l’auto-organisation.
Existe-t-il des causes premières ?
Cela éclairera peut-être le problème, mais ne nous dira pas pourquoi l’Univers est si harmonieux, équilibré entre diversité et régularité. Une intelligence supérieure en serait-elle à l’origine ? Ou bien serait-ce le fait du hasard, si notre univers n’était qu’un exemplaire parmi des myriades d’autres univers (le multivers).
À l’issue d’une visite de Stephen Hawking au Vatican, le pape Jean-Paul II lui aurait dit en le raccompagnant sur le perron :
Alors, M. Hawking, nous sommes bien d’accord : après le Big Bang, c’est vous, et avant, c’est nous !
Cette anecdote légendaire, dont on ne sait vraiment si elle est authentique, est pourtant entrée dans l’histoire. Elle représente une vision très actuelle de la religion. Comment concilier les avancées de la science et les croyances religieuses ?
L’idée serait de dire :
- La science n’a rien à dire pour l ’ « avant Big Bang » (quand bien même ce terme aurait un sens). Nos théories s’arrêtent au mur de Planck bien avant de remonter au Big Bang. De surcroît, si celui-ci, comme on le pense généralement, est l’origine de l’espace et du temps, ni nos théories, ni l’expérimentation, ne nous permettront jamais d’envisager un autre espace-temps que celui que nous connaissons. La question restera sans réponse.
- Réciproquement, dans sa vision déiste, la religion chrétienne ne prévoit pas d’interventions divines influant sur le déroulement des choses depuis le Big Bang. Elle considère que Dieu serait intervenu en amont, puis aurait laissé les choses se dérouler dans le sens qu’il avait voulu. Une fois l’Homme apparu, il aurait engagé un dialogue avec lui.
Il existe d’autres thèses sur la conciliation entre sciences et religion, telle celle discordiste, du chanoine Georges Lemaître, l’inventeur du Big Bang. Pour lui, ecclésiastique et savant à la fois, la religion et la science escaladent la même montagne de la connaissance, mais par des faces distinctes, sur des chemins qui ne se croisent pas.