Galilée aurait établi la véracité du modèle héliocentrique… Il aurait été victime de l’obscurantisme et de l’inquisition… Voilà la légende.
La vérité mérite d’importantes retouches. Dans son excellent ouvrage consacré à l’histoire des modèles cosmologiques[1], Arthur Koestler nous en donne une vision quelque peu différente.
Lorsque Copernic publie Des Révolutions des Orbes Célestes en 1543, l’année de sa mort, cet ouvrage ennuyeux et mal structuré provoque peu de réactions. Il se vend à dose homéopathique. Le système héliocentrique n’y est pas démontré et la vision de l’auteur est confuse. Il ne déclenche aucune ire de l’Église, laquelle tolère les nouvelles idées si elles sont présentées comme de simples hypothèses, ce qui est le cas. L’ouvrage ne sera interdit que bien plus tard, en 1616, en raison de l’affaire Galilée.
Avec la publication du Messager Céleste (1610), Galilée commence à promouvoir le système héliocentrique. Il soulève les premières controverses. Il s’oppose violemment aux universitaires jésuites craignant de voir s’écrouler l’édifice intellectuel aristotélicien qui assure leur pouvoir. Galilée les surnomme la « Ligue des Pigeons ». En dehors de cette communauté d’érudits, la hiérarchie ecclésiastique se montre tolérante, comme avec Copernic, d’autant plus que Galilée y dispose de nombreux appuis. Elle reste sur sa philosophie du siècle précédent : les idées nouvelles sont les bienvenues, dès lors qu’elles sont présentées comme de simples hypothèses. Cependant, Galilée franchit allègrement cette ligne rouge : il promeut le système copernicien comme une vérité scientifique, clamant qu’il appartient à l’Église de l’admettre et de modifier sa doctrine.
Pourtant, curieusement, Galilée n’a jamais prouvé quoi que ce soit en la matière. Ses études sur le sujet sont toujours restées très superficielles. Lorsque Johannes Kepler, l’inventeur des lois mathématiques des orbites célestes, a cherché à le contacter, il l’a toujours ignoré. Il est étonnant que Galilée, considéré justement comme l’inventeur de la démarche scientifique moderne, ait promu avec tant de force une idée sans en présenter un fondement rigoureux. Lorsque les jésuites la contestent, il va jusqu’à inverser la charge de la preuve et prétendre qu’il appartient à l’Église de prouver sa fausseté.
Les positions provocatrices de Galilée sont tolérées pendant de longues années grâce à la protection de plusieurs cardinaux, mais le dossier reste dans les tiroirs de l’inquisition. En 1615, le cardinal Bellarmin, Maître des questions controversées, cherche un compromis avec lui. Il le prie, soit de démontrer sa thèse, soit d’admettre qu’elle est une simple hypothèse. Sachant très bien qu’il ne dispose d’aucune preuve, Galilée rejette le compromis. Selon ses dires, il dispose bien de preuves, mais il ne les produit pas, car ses adversaires, les péripatéticiens (aristotéliciens) « se montrent incapables de suivre les raisonnements les plus simples et les plus faciles. » Selon l’Ambassadeur de Toscane, « Il est passionnément engagé dans cette querelle, comme si c’était une affaire personnelle, et il ne voit ni ne sent ce qu’elle peut comporter ; de sorte qu’il se fera prendre au piège et se mettra en péril avec tous ceux qui le seconderont. »
Sommé de montrer ses preuves, Galilée sort sa dernière carte : la théorie des marées. Celle énoncée par Kepler était juste, mais il la balaye d’un revers de main en la traitant d’« astrologique » et il présente la sienne : les marées ne seraient pas dues au mouvement de la Lune, mais à la rotation quotidienne de la Terre. Les océans « glisseraient » par rapport aux continents, et ces différences de vitesses expliqueraient les marées. Cette théorie est grossièrement fausse puisqu’elle prévoit une seule marée par jour, survenant toujours à la même heure. Elle tient de l’affabulation. Pourtant, Galilée décide d’en convaincre le pape Urbain VIII. Comme celui-ci lui renouvelle sa bienveillance, il s’attelle à l’écriture de son ouvrage magistral Dialogue sur les deux grands Systèmes du Monde qu’il achève en 1630. Il y pousse l’arrogance jusqu’à inventer un personnage simplet, Simplicio, qui épouse les thèses d’Aristote et de Ptolémée (celles du pape) et qui les ridiculise. On connaît la suite, son procès suivi d’une peine clémente pour l’époque : abjurer.
Contrairement à la légende, la condamnation de Galilée ne repose pas sur l’aveuglement de l’inquisition, mais au contraire, sur un jugement exact : l’inventeur de la démarche scientifique est accusé de n’avoir jamais démontré la thèse du mouvement de la Terre autour du Soleil, de l’avoir néanmoins présentée comme une vérité scientifique et d’avoir avancé sa théorie des marées comme une prétendue preuve que les jésuites se sont empressés de falsifier.
L’histoire oubliera cette aventure grotesque, car finalement, pour le Système solaire, Galilée avait raison !
[1] Les Somnambules : essai sur l’histoire des conceptions de l’Univers, Paris, Calmann-Lévy, 1960.