Alain Aspect aura attendu quatre décennies pour recevoir le prix Nobel. L’origine de cette histoire remonte à 1935. À cette époque, un débat ardu oppose Albert Einstein à Niels Bohr, l’un des fondateurs de la mécanique quantique. Le premier est gêné par différents aspects contre-intuitifs de la nouvelle science, et particulièrement par sa nature probabiliste. Il n’en conteste pas la qualité prédictive, car toutes les expériences montrent bien que la théorie est juste, mais il la considère comme incomplète. Pour dire les choses simplement, le fait que cette théorie s’exprime sous forme de probabilités s’interprète différemment pour les deux hommes. Pour Niels Bohr, cela relève de la nature intime de la réalité et il faut admettre que le monde microscopique obéit à des règles très différentes de celles du monde classique. Au contraire, pour Einstein, les probabilités proviennent plutôt d’une connaissance incomplète de la réalité. Il y voit une limite sérieuse de la nouvelle théorie.
Pour raisonner sur un plan théorique, Einstein utilisait volontiers des expériences de pensée, c’est-à-dire qui sortent de l’ordinaire et qui sont souvent impossibles à réaliser pratiquement. Par exemple, dans les années 1910, il avait conçu le principe d’équivalence, une des bases essentielles de la relativité générale, en imaginant un ascenseur se décrochant et tombant en chute libre dans sa cage : les passagers de l’ascenseur se retrouvaient en apesanteur. Cette expérience fictive prouvait l’équivalence entre une accélération (celle de la cage d’ascenseur) et la gravité (le poids du passager qui s’annule). Dans le but de contester la mécanique quantique, Einstein inventa aussi différentes expériences de pensée, mais à chaque fois, son adversaire Niels Bohr (en toute amitié), trouva des réponses convaincantes. Jusqu’au jour où Einstein, aidé par deux collègues, conçut une expérience redoutable : le paradoxe EPR (Einstein-Podolski-Rosen).