L’univers millefeuille
Au début des années 80, Richard Feynman se demandait si l’Univers obéissait à une Théorie du Tout, ou bien s’il était structuré comme un oignon avec de multiples strates dont chacune obéissait à des lois différentes. Aujourd’hui, tout nous indique que la seconde hypothèse est la bonne.
Plus on étend la vision humaine vers les échelles extrêmes, petites ou grandes, plus on perçoit que leur étendue est immense et peut-être infinie. Ainsi, l’Univers prend une allure fractale : à chaque niveau d’échelle se développent de nouvelles structures. C’est probablement pourquoi aucune théorie, même qualifiée de fondamentale, n’est capable d’embrasser toutes les échelles.
Alors, il faut se résoudre à l’idée que l’Univers est fait comme un millefeuille.
Les différentes couches du millefeuille
Chacune des strates fait émerger de nouvelles structures dans la ou les strates du dessus, et chacune de ces structures fait naître de nouvelles lois. Ainsi, en partant du bas :
- Sous l’échelle de Planck, se situe une zone inaccessible, une terra incognita qui ne peut obéir à nos théories car elles sont incompatibles à ces échelles. Des théories en cours d’élaboration, telles celle des cordes et celle de la gravité quantique à boucles, laissent entendre que ce monde ferait émerger celui qui nous est connu : l’espace-temps lui-même, la mécanique quantique et la relativité générale.
- De cette terra incognita, émerge le monde des particules habité par le flou quantique. Nous commençons à bien le connaître, même s’il nous apparaît toujours aussi contre-intuitif.
- En s’agrégeant, les particules font émerger les structures macroscopiques c’est-à-dire notre monde de tous les jours. Le mécanisme de la décohérence semble expliquer la transition. De nouvelles lois physiques ont été créées pour appréhender ce qui se passe à nos échelles, notamment la thermodynamique.
- On découvre jour après jour, de nouvelles structures émergentes que l’on ne peut expliquer qu’en trouvant de nouvelles lois : décrire les phases gazeuses, liquides et solides des corps, les semi-conducteurs ou les états condensés de la matière par exemple.
- L’échelle des galaxies et de l’Univers observable a fait l’objet de modèles cosmologiques grâce à la relativité générale, d’une manière très simplificatrice : en considérant les galaxies comme des particules et le cosmos comme un gaz formé de ces particules. Des modèles plus sophistiqués incorporant les forces autres que la gravitation, restent à trouver.
- Quant à l’existence d’une possible échelle supérieure au-delà de l’Univers observable, elle reste un mystère lié à celui d’un éventuel multivers. Une autre terra incognita.
Voilà ce qu’est l’Univers millefeuille : une Matriochka dont chaque poupée crée sa propre physique.
Richard Feynman voyait cette structure stratifiée comme une mauvaise nouvelle pour la physique : il craignait que les physiciens s’épuisent à découvrir toutes ces lois « locales ». Aujourd’hui, les idées ont évolué. La Théorie du Tout apparaît de plus en plus comme une idée religieuse, ou comme le mythe newtonien poussé à l’extrême. Au contraire, l’Univers millefeuille offrira à tout jamais une richesse incroyable de nouveaux problèmes pour nourrir la communauté scientifique et faire avancer la connaissance.